Mon chat est-il jaloux?

Et si la réponse n’était pas aussi simple que oui ou non ? Prenez un café, nous allons parler sciences.

Marlène Laurent Comportementaliste félin

12/9/20247 min lire

chat jaloux
chat jaloux

La jalousie est une émotion secondaire, considérée complexe et demandant par conséquent des capacités cognitives avancées comme la conscience de la dynamique sociale. Sa fonction première est de protéger une relation importante d’un rival potentiel. On s’attend à la trouver chez des animaux où la sociabilité est centrale.

les dérives de l'anthropomorphisme avec un chat
les dérives de l'anthropomorphisme avec un chat

La Jalousie en Ethologie:

Il n’y a actuellement pas de preuves scientifiques démontrant l’existence de la jalousie dans la palette émotionnelle du chat. Et même pour être plus précis, la jalousie ne serait pas une émotion très cohérente avec ce que l’on sait pour l’instante des capacités cognitives du chat. En effet, le chat est un animal social facultatif, il descend d’ancêtres solitaires. N’ayant pas besoin d’un groupe social pour survivre en tant qu’adulte, sa gamme de communication sociale ne semble pas très extensive : par exemple, il possède assez peu de signaux d’apaisement pour mettre fin à un conflit. Quant à la jalousie « amoureuse » ou liée à un partenaire sexuel, on peut oublier : le chat est polygame, mâles et femelles ont de multiples partenaires. On n’a pas non plus démontré la présence d’autres émotions de la même complexité chez le chat.

La Jalousie chez le chat:

Quand nous travaillons avec des particuliers, il est fréquent de rencontrer des cas où Madame ou Monsieur projettent leurs propres émotions et ainsi que leurs conséquences sur leur animal. C’est très humain et faute d’une meilleure explication, il est très tentant de penser que son animal ressent les évènements comme nous. C’est prouvé, plus nous sommes attaché à notre chat, plus nous sommes enclins à lui attribuer des capacités cognitives et des émotions complexes.

En éthologie, ce mécanisme de projection est connu et appelé anthropomorphisme. Il nuit à la relation humain-chat en faussant la compréhension de la situation. Il est lié à un manque de connaissances mais aussi à la difficulté qu’a notre cerveau d’imager et de concevoir une façon de fonctionner différente de la nôtre. Une étude montre que les humains qui anthropomorphisent leur chat ont plus tendance à se tromper dans l’interprétation des émotions félines.

Seulement voilà, votre chat n’est pas « cablé » comme un humain : il perçoit le monde différemment, et n’a pas les mêmes préoccupations dans la vie. Ce serait fermer les yeux sur ses réels besoins que de lui attribuer des émotions qui ne sont pas les siennes. Prudence, donc.

L'anthropomorphisme

Mais techniquement, ce n’est pas parce qu’on n’a pas prouvé quelque chose que cela n’existe pas. L’éthologie est une science jeune et peu d’études ont été menées sur le sujet des émotions secondaires chez le chat. De plus, l’étude des émotions et des capacités cognitives chez les animaux n’est pas simple : il est difficile de mettre en place des expériences avec une méthodologie excluant tous les autres facteurs que les émotions. Notons que la majorité de la communication féline est olfactive et que tout ce pan nous échappe complètement.

Il serait dangereux d’assumer. Pour preuve, je rappelle que jusqu’aux années 70, nous croyions que les bébés ne pouvaient pas ressentir la douleur et performions sans vergogne leurs chirurgies sans anesthésie, simplement parce qu’ils ne pouvaient pas l’exprimer avec des mots. Il y a quelques décennies encore, nous pensions être les seuls animaux capables d’utiliser des outils, de rire, ou de ressentir de l' empathie car nous n’avions pas de preuves dans ce sens. On sait aujourd’hui qu’exclure la possibilité par absence de preuve est un manque criant d’humilité (et d'empathie).

anthropodéni:

Que ce soit dans un contexte d’élimination hors litière, de conduites agressives, de miaulements intensifs, ou juste comme ça en passant, nous comportementalistes, entendons souvent les gens interpréter telle ou telle action de leur chat comme étant une conséquence directe d’une jalousie. Alors qu’en dit la science et que sait-on vraiment de cette émotion chez le chat ?


C’est un peu l’exemple du chat qui fixe un coin de mûr. Certains lui attribueront des super-pouvoirs comme celui de voir les esprits/entitées (c’est l’explication sexy), alors qu’ayant une ouïe bien plus fine que la nôtre et entendant dans les ultrasons, il a probablement simplement entendu une souris ou un insecte.
Aussi, beaucoup de comportementalistes félins vous diront d’un bloc que la jalousie n’existe pas chez le chat. Il s’agit d’une simplification pour le grand public. En fait, il est beaucoup plus probable que l’humain qui vit avec le chat projette ses propres émotions, et/ou n’ait pas les connaissances nécessaires pour bien interpréter son animal plutôt que le chat ressente de la jalousie.

compétion entre chats
compétion entre chats
photo d'une chirurgie sur bébé sans anesthésie
photo d'une chirurgie sur bébé sans anesthésie
illustration de l'anthropodéni
illustration de l'anthropodéni

De meilleures explications :

MAAAAAIS...

Dans presque toutes les situations, une meilleure connaissance des besoins, des habitudes du chat, une meilleure lecture des comportements félin et, bien souvent, un peu de recul sur la situation permettent de trouver une explication plus proximale à l’origine du comportement. On sait par exemple qu’un manque de ressources est source de stress et de conflits dans un foyer avec plusieurs animaux, et qu’il est facile de confondre la jalousie avec de la compétition. Force est de constater qu’en résolvant des manques dans les besoins connus du chat et en réduisant le stress, les comportements dérangeants étiquetés comme de la jalousie disparaissent. En sciences, l’explication la plus simple est toujours prioritaire : c’est le principe du rasoir d’Ockham (ou Occam). C’est un raisonnement bancal d'expliquer un comportement par une émotion complexe non prouvée alors qu’il y a bien plus d’autres raisons plus probables avant celle-ci.

principe du Rasoir d'Occam
principe du Rasoir d'Occam

Hurler n'était apparemment pas un indicateur fiable de la douleur, à l'époque...

Image source: www.circumcisionquotes.com

Terminons sur : statistiquement, votre chat n’est pas jaloux et vous projetez des émotions humaines. Et s’il l’est, ce n’est certainement pas de la même façon que vous appréhendez la jalousie : votre chat a d’autres préoccupations que celles des humains dans sa vie et doit faire face à des besoins différents. Il faut en priorité chercher des causes en accord avec ce que l’on sait de la façon dont le chat perçoit son environnement pour expliquer un comportement.

En revanche, ne jetons pas non plus le bébé avec l’eau du bain. Puisque nous n’avons de preuves ni dans un sens, ni dans l’autre, il est sage de se garder d'être catégorique et de rester l'esprit ouvert, jusqu'à ce que des études plus poussées nous apportent une réponse satisfaisante à cette question.

En ce qui concerne la jalousie liée à la relation humain-chat, cela reste un point d’interrogation. Nous avons avec les chats une relation régressive : nous nous comportons avec nos chats comme une mère avec ses chatons, en les nourrissant, en les cajolant. L’humain devient donc une ressource, pour laquelle il pourrait y avoir une forme de compétition (mais attention: compétition n'est pas jalousie).

S’il n’y a pas de preuve dans ce sens, la question d’une forme de jalousie primitive se pose. Un étude montre d’ailleurs que les chats réagissent plus intensément quand l’humain caresse une peluche en forme de chat qu’un coussin, mais il n’y a pas de différence si l’humain est connu ou pas. C’est une étude non conclusive: la raison pourrait être tout autre que la jalousie (peur, confusion, odeur etc.) et d’autres études seraient nécessaires pour trancher.


Enfin, la question vient titiller la place de l’humain par rapport aux animaux non-humains, posant des questions philosophiques et éthiques dérangeantes qui freinent l’évolution de la pensée. Des éthologues de renoms commencent à mettre en lumière ce phénomène à l’opposé de l’anthropomorphisme mais tout aussi problématique. L’anthropodéni est la réticence de reconnaître des capacités jugées proprement humaines à des animaux non-humains : plus un animal est éloigné génétiquement de l’humain, plus l’anthropodéni serait fort. Ainsi, nous avons longtemps dédaigné -et continuons de dédaigner- l’intelligence et les émotions des oiseaux, poissons, mollusques, insectes etc.

main coon sage
main coon sage
A black and white cat with green eyes
A black and white cat with green eyes